Born To Ride 2017
L’enchaînement des Monts
Mont Saint Odile (France), Mont Blauen (Allemagne), Cols Grimsel et Simplon (Suisse), Mottarone (Italie), Col de Montgenèvre, Mont Ventoux, Mont Aigoual (France)
1 170 km, 14 650 m D+, 82 h
du vendredi 9 juin 22h au mardi 13 juin 8h
Brassard n°13
C’était génial. C’était dur.
Mardi vers 8h du matin je monte les toutes dernières pentes vers l’Aigoual. Mon GPS m’indique qu’il reste 2 km. J’arrive au panneau d’indication : Aigoual, à gauche, 8 km. Je suis assommé, désespéré. 6 km de plus qu’attendu.
Comment après plus de 1 100 km, peut-on se prendre une telle baffe à quelques encablures de l’arrivée ? La longue distance, c’est beaucoup dans la tête.
Lorsque l’annonce tombe en fin d’année dernière de la Born to Ride 2017, je n’hésite pas une seconde à m’inscrire. J’avais adoré l’édition de 2016 de Vezelay à Barcelone, et j’adhère totalement à l’esprit Chilkoot et à ce que son organisateur, Luc, lui insuffle.
Nous sommes près de 120 cyclistes réunis au Mont Saint Odile pour prendre le départ à 22 h. Le lieu est magnifique, l’ambiance super, et je suis heureux de retrouver des têtes connues et de discuter avec tous ces passionnés d’aventure.
Grimsel ou Gothard ?
Beaucoup comme moi se sont posés la question de l’option à prendre en Suisse. Par le Grimsel puis Simplon, ou par le Gothard qui fait économiser un gros col et de la distance. Sauf que pour faire ce dernier, une partie fermée à la circulation cycliste pour cause de travaux oblige à passer par un chemin de randonnée. A quelques minutes du départ je prends ma décision. Ce sera le Grimsel, c’est une évidence. C’est l’esprit originel du tracé, c’est le panache.
Les quelques 100 km pour arriver au pied du Blauen sont avalés à bonne allure à la lueur des phares puissants qui équipent nos vélos et dans un silence de plus en plus prégnant que seuls les roues libres et changements de vitesse viennent perturber. Nous roulons en groupe avec Olivier et Matthieu, puis les premières pentes font éclater le petit peloton. Je retrouve Sylvain avec qui je fais l’ascension. Nous atteignons le sommet vers 3h et nous roulerons ensemble jusqu’au pied du Grimsel.
Après une nuit à rouler, la somnolence du petit matin se fait de plus en plus forte. Une sieste de 30′ dans une aire de jeux pour enfants d’un Mac Do encore fermé fait parfaitement l’affaire.
La progression en Suisse va crescendo avec l’augmentation du pourcentage et de la longueur des pentes. Le premier col (Brünig) se fera sous la chaleur et dans le trafic, le panorama est heureusement là pour compenser cette ascension pénible.
Au pied du Grimsel, nous ravitaillons avec Sylvain et il décide de faire un bon stop. Je repars seul, je le serai jusqu’à la fin de l’aventure. Je culpabilise un peu de laisser mon compagnon de route mais je veux avancer le plus possible, car j’ai en tête de passer le Grimsel et le Simplon dans la journée. Je ne savais pas si c’était possible en prenant le départ, maintenant je pense que ça l’est.
Une vielle connaissance
Le Grimsel, je le connais. Il m’a fait souffrir l’année dernière sur la TCR, je sais qu’il est long. Cette fois-ci je l’escalade avec patience et je profite de ce qu’il a à m’offrir. Le passage de dizaines et de dizaines de motos me laisse presque indifférent. Je pense qu’il y a à peine 10 jours, ce Grimsel était encore fermé pour cause d’enneigement ! On se sent fier de gravir un tel géant de la montagne à la force de la pédale.
L’arrivée au sommet est superbe, j’en profite quelques instants avant d’attaquer la descente.
Je fatigue sérieusement et la chaleur est éreintante. J’arrive à Brig avant 19h. Je sais que beaucoup ont prévu de s’y arrêter dormir. Tout est fermé, pas de ravito possible. Je m’élance quand même car il est encore trop tôt pour moi pour s’arrêter.
L’ascension sera compliquée. Il fait encore très chaud, les pentes sont raides, j’accuse le coup, je m’arrête deux ou trois fois pour récupérer.
A 21h je suis au sommet, déserté par les touristes. Seul un camping-car squatte le parking d’un hôtel qui semble abandonné.
La descente vers l’Italie est géniale. La route est un billard. Pour totalement en profiter, il m’aurait fallu des lunettes transparentes pour me protéger des insectes qui viennent se heurter à mon visage lancé à 70 km/h. J’ai déjà essayé de descendre de nuit avec des lunettes de soleil, je me suis vite arrêté.
Les détails ont souvent leur importance et c’est toujours la même chose.
A la maison, j’ai beau organiser et ranger mes affaires par thème dans des petites pochettes plastiques, elles-mêmes dans des petites caisses, elles-mêmes dans des petits tiroirs : la préparation est toujours aussi longue. Dans ma tête, ça prend 10 minutes, dans les faits, des heures. Et pour une telle épreuve, mieux vaut ne rien laisser au hasard en terme de matériel.
Cette fois-ci, ce sont les lunettes transparentes que j’ai oubliées. Ou peut-être aussi que je n’ai pas voulu m’en encombrer…
La bascule en Italie est claire et nette : je passe d’une route parfaite à une route défoncée et truffée de nids de poules.
Domodossola m’offre le repas (Mac Do) et la nuit (parking de magasin).
Je m’endors vers minuit, mon corps décidera de l’heure du réveil.
Jour 1, 450 km, 6 000 m de D+. Une bonne journée.
Se méfier des discrets
C’est à 4h30 que je me réveille, pour départ peu après 5h.
Les routes d’une Italie encore endormie en ce dimanche matin sont très agréables.
Il y a le lever du jour, puis le lever du soleil. Puis il y a le Mottarone.
Le Mottarone. Jamais entendu parler. Ça doit pas être méchant.
Il m’a laminé physiquement et moralement.
Les pentes à plus de 15% sont terribles et se répètent. Pour le biker dont le vélo fait plus de 15 kg et qui a 400 km dans les pattes de la veille, ça fait mal. Le 34×32 chauffe. Mais la partie dans la forêt est superbe. Je pense aux autres, à Thierry St Léger notamment, grand homme du fixie, qui va s’escrimer dans le Mottarone, sans dérailleur, sans roue libre.
J’arrive vers 9h. Luc, Julien et Jean-Acier sont là pour m’accueillir. Je me ravitaille et je prends près d’une heure pour discuter et partager avec eux de nos visions du vélo, de l’aventure, du partage. Je repars tout ragaillardi. Je crois que c’est le meilleur moment de ma BTR.
La traversée de la plaine de Turin est harassante car la chaleur est très forte. La température indiquée par mon GPS ne cesse de monter, le soleil brûle la peau. Se ravitailler en eau est une préoccupation qui revient vite.
La déroute du combattant
J’attaque l’ascension vers Montgenèvre en fin d’après midi. Il y a un côté réconfortant à penser que je vais retourner en France, que je vais être à nouveau chez moi. Cela me motive pour avancer. Le trafic a beaucoup baissé et les pentes ne sont pas trop fortes. Tout est réuni pour faire une bonne ascension mais la chaleur m’a épuisé. La montée est interminable. Je faiblis de plus en plus, le physique lâche petit à petit, je suis à la dérive, puis en déroute. Mais le mental est indestructible, je m’accroche, il n’y a que ça à faire de toute façon. Les textos de ma femme Cath et de mon frère m’aident à tenir dans ce moment compliqué.
L’arrivée au sommet est une délivrance. Il est 23h, le bénévole Chilkoot m’accueille chaleureusement, puis je file acheter un sandwich dans un resto qui est en train de fermer. Je révise mes plans. Envolée la possibilité de dormir à Briançon, encore moins à Embrun. Je veux profiter de cette aventure, et ne pas zigzaguer sur la route à lutter contre le sommeil.
« Vous pourriez m’indiquer un endroit un peu abrité où dormir dans la station ? » Je crois que le type a pitié de moi. Il m’ouvre l’entrée d’une résidence de vacances inhabitée. Je dormirai dans le couloir le long des casiers à ski, ce soir c’est le luxe.
Jour 2, 300 km, 3500 m D+.
Objectif Ventoux
Je repars à 6h le lendemain. Briançon, Embrun, vallée de la Durance, jusqu’aux gorges de la Méouge que je connaissais pas, superbe.
Vient le Ventoux tant redouté, mais l’ascension par Sault est assez douce. En fin de journée la température commence à baisser, je suis au sommet à 19h. Les bénévoles toujours aussi adorables proposent un peu de ravito et me tamponnent mon carnet de route.
La descente vers Malaucène est un régal, il n’y a plus personne, j’ai la route pour moi tout seul.
8 km ?
Je ne compte plus m’arrêter jusqu’à l’Aigoual. Faire des calculs de moyenne pour estimer mon heure d’arrivée m’occupe l’esprit pendant la traversée de la nuit. Trouver de l’eau est toujours une véritable préoccupation.
Je ne profite malheureusement pas trop de la route des gorges du Gardon qui m’amène dans les Cévennes, car dans la nuit, on n’y voit pas grand chose, malgré la quasi pleine lune.
Je m’amuse de temps en temps à éteindre mon éclairage. Le temps que ma vue s’adapte, je me rends compte qu’on pourrait quasiment rouler sans phare avec cette lune généreuse, et j’en profite pour lever la tête vers le ciel étoilé.
Le jour se lève pendant mon ascension vers notre point d’arrivée final.
Je ne suis plus très frais, mais encore suffisamment pour profiter du paysage. C’est incroyablement beau ici.
« Mont Aigoual – 8km » me dit le dernier panneau. Je m’arrête, assommé. Je pensais que c’était là l’arrivée.
Le paradoxe vient quelques minutes après où, sur le replat qui mène au météosite du Mont Aigoual, je ralentis. La fin de l’aventure vient toujours brutalement, alors pour qu’elle soit douce, je prends mon temps avant de sortir mon précieux carnet qui recevra le tampon final de cette Born To Ride 2017.
Jour 3, 420 km, 5000 m D+.
Je retrouve quelques riders qui sont arrivés dans la soirée et dans la nuit. Apparemment il y a une dizaine de gars déjà arrivés. Je me rends compte que beaucoup ont roulé en petit groupe, enfin plus ou moins, car les montées règlent le tempo de chacun.
Je pense aux copains encore sur la route, Olivier, Sylvain, Guillaume…
Un peu plus tard je réfléchirai à la façon dont j’ai roulé. Je ne suis pas très rapide en montée, je ne suis pas un très gros rouleur sur le plat. Disons que je suis déterminé. Ça me suffit pour avancer et pour profiter pleinement de l’aventure.
C’était dur. C’était génial.
4 réflexions sur « Born To Ride 2017 »
Bravo, et merci d’avoir pris le temps d’écrire un compte rendu.
C’est toujours aussi intéressant.
J’adore : le récit, l’aventure réalisée, les photos, ta détermination… bref un GRAND BRAVO Sylvain
Bonjour Sylvain, j’avais découvert ton blog un peu par hasard et j’étais tombé sur le récit de la transcontinental race, que j’ai dévoré 😉 Quelle aventure.! Et la encore, superbe retour d’expérience et de vécu sur ce BTR, ça fait rêver. je suis triathlete mais je cherche déjà que faire après mon premier ironman…je crois que j’ai trouvé. bravo encore, bonne continuation dans tes futurs courses.
Salut Mickael, merci pour ton commentaire ! On se verra peut-être sur la BTR l’année prochaine alors 😉