Transcontinental Race No4 – Day 9
Dans le brouillard de Durmitor
Monténégro, 177 km, 4470 m D+, 19h15
dimanche 7 août
Je me réveille à 5h30. J’ai vu que le café ouvrait vers 7h et je veux éviter de croiser le propriétaire. J’ai pourtant du mal à me lever. Je n’ai pas très bien dormi.
Je renfile mes vêtements qui n’ont évidemment pas eu le temps de sécher et je remballe mes affaires sans grande motivation. Je suis presque prêt à partir quand une jeune femme arrive pour ouvrir le café. Elle me fusille du regard. Je lui dis que je vais lui expliquer pourquoi je me trouve ici. Elle me répond dans une langue que je ne comprends pas et semble à tout prix vouloir m’éviter. Je n’insiste pas. Elle disparaît derrière la porte du café. Je m’empresse de partir.
Batterie GPS 10%. Batterie téléphone 20%.
Mes appareils réclament à manger, tout comme mon estomac. A la sortie de Pluzine, je m’arrête à la station service mais je vais devoir attendre que la lente charge que permet mon mini chargeur, redonne de l’énergie à mon GPS à hauteur de 60%. Tant pis pour le téléphone.
Je discute avec le pompiste pour savoir s’il a une idée de la météo, on ne sait jamais, peut-être que dans une heure il y aura grand soleil et 30°C…
Un Autrichien qui fait le plein de sa une belle Mercedes, vient parler avec moi car mon vélo l’intrigue. C’est un fan de VTT. Il me montre des photos de lui à VTT devant le siège de Redbull en Autriche. Il est accompagné de deux jeunes femmes « pour passer les vacances », une blonde, une brune. Je me pince pour pour être sûr de bien comprendre, mais son discours est sans équivoque. Le type est franchement sympathique, il me souhaite bonne chance et repart dans son bolide accompagné de ses deux belles créatures.
Stuart, l’Australien rencontré la veille, et Matthew, un Anglais, arrivent alors et nous repartons ensemble pour l’ascension dans le parc de Durmitor.
Stuart nous laisse partir car il semble très fatigué. Mon GPS m’indique de prendre à droite, pourtant je ne vois pas de route. Je continue avec Matthew en l’interrogeant à ce sujet, il semble sûr de lui, mais j’ai un énorme doute. Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas la bonne trace !
Matthew a de meilleures jambes que moi, et je le laisse partir.
Je pénètre petit à petit dans le brouillard qui n’est pas trop épais, et qui me permet de profiter du paysage. Dommage tout de même, Mike Hall avait annoncé cette partie superbe, et le brouillard bloque vraiment la vue.
Je vois Matthew au loin de temps en temps puis il disparaît définitivement, ce qui m’étonne, mais que je comprendrai plus tard. Effectivement, n’étant plus sur ma trace, j’ai fait une boucle de trop. 5km et 200 m de D+ en plus, comme si mes jambes n’en avaient pas déjà assez. Je retrouve ma trace plus loin, qui déboule d’un chemin de VTT. Comment ai-je pu faire une erreur aussi grossière ? Je suis sur le parcours No4, une des seules courtes portions obligatoires et donc bien décrites dans le manuel de course. Je comprends tout de suite la bêtise que j’ai faite avec le logiciel de traçage.
Les conditions se dégradent avec l’apparition d’une pluie fine. Ça commence à être franchement dur moralement. Après seulement 2 h de course, je n’ai qu’une envie, c’est de me mettre au chaud dans un lit.
Malgré tout, les paysages sont magnifiques, heureusement qu’ils sont là !
Je vois sur mon profil GPS que je vais bientôt arriver au col le plus haut et basculer de l’autre côté de la vallée. Généralement en montagne, c’est quitte ou double. Soit la météo de l’autre côté est plus clémente, soit c’est pire. J’arrive au col, le vent souffle très fort, la pluie redouble d’intensité. Ce n’est pas quitte, c’est double… Double de vent, double de pluie, double de froid. A ce moment, je prends conscience que je ne prends plus aucun plaisir à être dans la course, j’en ai ras le bol de me faire rincer depuis 24h. Je pense au réconfort que je retrouverai en rentrant chez moi et à retrouver ma famille, mais c’est encore tellement loin.
J’effectue la descente au ralenti, transi de froid et observant une grande prudence à cause du vent.
J’arrive à Žabljak avant 11h, moralement épuisé. Les bénévoles toujours aussi sympas et cette fois-ci compatissants (car je ne suis pas le seul dans cet état), m’accueillent chaleureusement. Allez, CP4 validé, ça c’est fait.
Ici il y a possibilité d’avoir une chambre et un repas, je n’hésite pas une seconde. J’ai besoin de me réchauffer et de recharger mon GPS, mon téléphone et mon powerbank. Je me contrefous de la position de mes poursuivants. Je vois que je suis 12ème selon Freeroute, mais cela me passe complètement au dessus de la tête.
En prenant mon repas, je discute avec une famille belge qui passe des vacances ici, un super moment. Ca fait bizarre de parler Français !
Je file me reposer dans ma chambre et je retrouve Matthew qui a décidé de faire un stop ici également. On discute un peu puis je m’endors profondément.
Je me réveille vers 15h et me sens reposé après 2 h de sommeil. Je réfléchis à rester ici ou reprendre la route. Il ne pleut plus trop, mais le ciel de traîne ne s’est pas volatilisé…
Mon âme de compétiteur se réveillant petit à petit, je me décide à reprendre la route, même si on m’annonce que la météo ne va pas s’améliorer tout de suite.
Ce soir j’ai décidé de m’arrêter à Berane, au Monténégro. Il n’y a que 120 km, ça devrait le faire.
La route qui m’emmène à Berane est clairement géniale. Elle est en bon état et il y a peu de trafic. Elle suit les gorges de Tara et avec une météo clémente, j’imagine le plaisir décuplé que j’aurais à rouler ici. J’apprendrai après que c’est le deuxième plus grand canyon au monde avec 82 km de longueur !
Je m’arrête à Mojkovac pour trouver à manger. C’est la première fois que j’entre dans une ville de taille raisonnable depuis longtemps. Il y a de la vie partout, ça fait du bien. Je me fais confectionner un sandwich dans une supérette et prends mon repas dehors en m’imprégnant de l’ambiance qui règne ici. J’ai quitté les nuages et l’humidité et ne suis plus très loin de mon point de chute. Le moral est remonté en flèche.
A 20 km de Berane mon GPS plante, écran figé. Victime de paralysie chronique, je connais bien le remède pour le sortir de cet état : appui long sur la touche Power pour un redémarrage. Et là, c’est toujours un grand moment de stress. 80% du temps, les données de la sortie en cours ne sont pas effacées. Recherche satellites OK, speed/cadence sensor détecté OK… Vite dépêche toi de rebooter… Ecran d’accueil.
Kilométrage 0 km. Temps de sortie 00:00:00. Ascension totale 0 m.
Ô rage, ô désespoir, la maladie du Garmin Edge 810 a encore frappé.
150 km de données viennent de partir en fumée, qui ne pourront donc pas être affichées sur Strava. C’est grave docteur !
Là, le monde se divise en deux catégories.
Il y a ceux qui ne comprennent pas ce qu’on peut bien en avoir à faire de Strava au fin fond du Monténégro en pleine TCR. Je passe alors pour un geek dégénéré.
Il y a ceux qui comprennent que Strava c’est un peu le deuxième cerveau du cycliste et que perdre le moindre kilomètre est un incident majeur. J’ai alors toute la compassion de ceux-ci. Merci mes amis.
Voilà pourquoi j’ai un deuxième GPS, un bon vieux Garmin Etrex 30, à piles, plus gros, plus lourd, plus moche. Mais robuste, agricole. Car perdre des données, ce n’est pas très grave, mais perdre la cartographie (ce qui n’est pas arrivé dans ce cas), serait autrement plus embêtant.
J’atteins Berane une vingtaine de kilomètres plus loin et je trouve mon hôtel 4 étoiles. 20 € la nuit, petit déjeuner compris. Qui dit mieux ? La vie au Monténégro est incroyablement bon marché.
Le réceptionniste m’indique de laisser mon vélo contre la grille du parking de l’hôtel. Il est très visible de la rue mais il m’assure que ça ne craint rien. Je lui fais confiance, mais je l’attache tout de même avec mon micro cadenas qu’une pince coupante suffirait à ouvrir.
Il n’est que 22h, quel pied, je vais pouvoir me reposer, recharger mes appareils, étudier mon itinéraire pour demain, faire sécher mes affaires. Et j’ai du Wi-Fi pour donner des news !
Je n’ai fait que 177 km aujourd’hui. Pas terrible mais circonstances atténuantes me dis-je pour me réconforter. Mais je n’avais pas vu le dénivelé. Près de 4500 m gravis aujourd’hui, quand même.
J’ai bien mérité mon hôtel 4 étoiles.
Je m’endors vers minuit.
Monténégro, 177 km, 4470 m D+, 19h15
3 réflexions sur « Transcontinental Race No4 – Day 9 »
Bravo Sylvain, merci de nous faire partager tes sensations.
Ce 810, il est complètement bugué!
Ben dis donc que d’aventures avec cette météo !
Récit toujours aussi prenant, c’est incroyable tout ce que tu as traversé.
Vivement la suite du récit !
bravo et bravissimo . Très interressant!