Transcontinental Race No4 – Day 8
J’ai vu les ténèbres
Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, 312 km, 3360 m D+, 22h00
samedi 6 août
4h15. Je me réveille. C’est une de mes meilleures nuits depuis le début de l’aventure. Un poids lourd est arrivé durant mon sommeil, je ne l’ai même pas entendu. J’ai donc bien dormi. Je remballe mes affaires pendant que le vent se lève. Je fais comme si je ne l’entendais pas souffler dans les arbres, comme si je ne voyais pas le ciel s’illuminer, comme si je n’entendais pas les grondements annonciateurs au loin. Je quitte mon lieu d’accueil vers 4h45 alors que quelques grosses gouttes commencent à tomber.
Au bout de 500 m, mon cerveau se reconnecte à la réalité. Oui, c’est bien une tempête qui est en train de se lever. Dommage, bien tenté, mais mon instinct de survie m’ordonne immédiatement de retourner dans mon abri tant qu’il est encore temps. Quelques secondes plus tard, des trombes d’eau s’abattent, de brutales rafales de vent violentent les arbres alentours, les éclairs déchirent le ciel. Les éléments se déchaînent. Je remercie mon instinct de survie, je ne suis pas sûr que j’aurais pu tenir l’équilibre sur mon vélo dans de telles conditions.
Je contemple ce spectacle aux premières loges, avec ce sentiment réconfortant de se sentir protégé et bien à l’abri, alors que quelques mètres plus loin, c’est le chaos. Comme à la maison, la tête sous un Velux sous une pluie battante.
La terrasse est vite inondée par la pluie ruisselante. Je m’en isole définitivement avec deux chaises qui me serviront de lit de camp. Bien au chaud dans mon duvet, je me rendors.
Je me réveille une heure plus tard. Le poids lourd est parti, je ne l’ai pas entendu. J’attends que la pluie cesse et je pars cette fois-ci pour de bon. Il est 6h30.
Le ciel est très menaçant, mais de toute façon il faut bien y aller, je commence à avoir des fourmis dans les jambes.
La matinée commencent bien car je longe pendant une vingtaine de kilomètre le lac de Peruca, et le paysage est vraiment très beau.
Je subirai ensuite jusqu’après la frontière Bosniaque une alternance de pluies orageuses et d’accalmies. Ceci m’impose de fréquents arrêts pour mettre et enlever mes vêtements de pluie. Un peu pénible et surtout usant pour le moral. Mais je prends mon mal en patience et me dis que la situation météorologique va s’améliorer.
J’arrive à la frontière Bosniaque vers 13h, sous la pluie. Je prends le temps de m’arrêter pour faire le point. Je sais que la course risque de changer un peu de physionomie car je ne vais plus avoir d’accès aux données mobiles avec mon téléphone. Et oui à 15 €/Mo, le choix est vite vu. Plus d’accès à Freeroute pour voir où sont mes camarades de course, plus d’accès à Facebook pour donner des nouvelles et recevoir des messages, plus de MMS… Je préviens mes supporters que je pourrai tout de même continuer à lire les SMS, et je les encourage donc à m’en envoyer !
Je checke également la collecte en cours pour l’association pour laquelle je roule « à Chacun son Everest ! » Les dons ont considérablement augmenté. Cela me rend hyper heureux. J’avais peur de faire un bide avec cette collecte qui avait démarré lentement, mais avec la course qui bat son plein, les gens se sont mobilisés. Je suis vraiment touché par cette générosité et cela me donne encore plus de forces pour aller au bout.
Je passe la frontière, et cette fois-ci, on me demande mon passeport. J’ai changé mon itinéraire encore une fois et je ne passe pas la frontière par la route initialement prévue. Je rattraperai ma trace dans 80 km. Je suis maintenant presque habitué à revoir mon itinéraire et je ressens moins de stress à le faire qu’au début de la course, même si cela demeure inconfortable.
L’ambiance change en Bosnie. Les villes et villages que je traversent me donne l’impression que le niveau de vie est moins élevé qu’en Croatie. Je m’arrête ravitailler à un kiosque. Il s’est arrêté de pleuvoir, le ciel se dégage.
C’est une journée un peu étrange. Je me sens habité d’une langueur qui met à mal ma motivation. Tout me semble loin. L’arrivée, le prochain CP, mon prochain point d’arrêt. Je roule d’une manière un peu automatique.
Je reçois un texto de Cath : « Ce soir CP4 ! ». Réponse mécanique dans ma tête « Pfff… mais non… pas possible… ». Je consulte quand même mes notes. Mais bien sûr que c’est possible. Voilà, j’ai un objectif pour ma fin de journée, atteindre le CP4 et donc passer la frontière du Monténégro. La motivation est retrouvée, je ne roule peut-être pas plus vite, mais je roule vers un but, et cela change tout.
La circulation n’est pas trop dense et je me fais régulièrement klaxonner. Ici c’est un signe d’encouragement, et de salut ! Je n’ai pas compris au début, car en France, c’est plutôt le contraire !
Contrairement à la plupart des autres riders, j’ai choisi de ne pas passer par Mostar, mais de faire le tour par le sud. Je me souviens lorsque j’avais tracé cette partie, je pense que c’est une bonne optimisation distance/dénivelé. Dans tous les villages traversés, il y a de quoi ravitailler, je ne suis pas inquiet.
Arrivé à Stolac, j’hésite à ravitailler mais décide de pousser encore un peu. Erreur.
Je m’engage dans une vallée avec une première montée extrêmement rude. L’ambiance change totalement. Je ne vois plus un seul véhicule. Je ne vois plus personne. Je traverse de rares villages où vivent des bergers et agriculteurs.
L’austérité de la vallée est adoucie par une belle et chaude lumière du soir.
Je traverse cette vallée pendant une cinquantaine de kilomètre en profitant chaque instant des paysages, mais avec l’inquiétude grandissante de ne trouver aucun point de ravitaillement. Mes réserves en eau et en nourriture sont presque réduites à néant.
Au bout cette traversée, je rejoins une route principale qui doit m’emmener vers la frontière. Je quitte ma vallée dans laquelle j’étais bien abrité du vent, c’est ce que je vais vite comprendre.
Je m’arrête devant une de ces innombrables maisons abandonnées dont la construction a été arrêtée. J’aimerais tellement connaître l’histoire de ces gens qui ont du avoir un projet d’habiter ici ou là. Cela m’attriste.
Je sais que je ne suis pas très loin de Goražde. Le nom de cette ville m’évoque la lecture d’une des bandes dessinées du journaliste Joe Sacco. Il retrace dans cet ouvrage le cauchemar de la guerre de Bosnie à travers le siège de cette ville par l’armée serbe. J’en avais eu la nausée.
J’ai maintenant changé de direction et suis exposé à un vent de face que je n’attendais pas. La montée est longue et éprouvante. Toujours pas de ravitaillement en vue. La nuit va bientôt tomber. Moralement c’est très dur, je m’accroche pour ne pas craquer. Les texto de Cath me font tenir.
J’arrive à Avtovac avant 22h. C’est le dernier village avant la frontière. Il y a une rue principale avec une épicerie encore ouverte. Quel soulagement.
La dame qui tient le magasin range une livraison fraîchement arrivée avec ses deux filles. Je suis accueilli avec de grands sourires. Notre seul mot de vocabulaire commun est « OK ». Elle me parle en Bosnien, je lui réponds en Anglais. Le langage des signes triomphe.
Au moment de repartir, les conditions météo se mettent à changer. Le vent se lève, il commence à pleuvoir, l’orage éclate. Je reste pour l’instant bien à l’abri sous la devanture de l’épicerie, et je finis par m’asseoir sur une caisse, adossé contre le mur.
La dame quitte son magasin et m’apporte deux coussins pour que je soulage mon dos et mon postérieur. Sans échanger un mot, nous nous saluons du regard, le mien rempli de gratitude, le sien de compassion. Je n’oublierai jamais ce moment.
Comme ce matin à l’aube, je contemple, bien à l’abri, l’orage qui s’abat sur le village. L’éclairage public disjonctera par deux fois et plongera la rue principale dans le noir avant d’être rétabli. J’attends patiemment et je profite de ce moment pour me reposer.
La pluie finit par se calmer. Il est 23h et je vois que je n’ai plus qu’un petit col à passer puis une longue descente vers Pluzine, le CP4, ou plutôt le début du parcours No4. A minuit, je suis arrivé me dis-je, et je vais pouvoir passer une bonne nuit.
Je reprends la route qui s’élève tranquillement dans les montagnes dans la nuit noire. Une pluie fine avec du vent commence à se lever. La route se transforme en piste… Je regarde mon GPS et je vois que j’ai monté plus de la moitié du col, ce qui me rassure. Mais la pluie s’intensifie et l’orage éclate de nouveau, au loin, puis il se rapproche.
J’essaie de garder mon sang froid.
Les cailloux sur la piste sont de plus en plus gros et glissants. Je lutte pour rester sur le vélo et je fais parler mes aptitudes de vététiste. Je me mets complètement dans le rouge, le pic d’adrénaline est à son maximum. Je suis inquiet pour mes pneus, avec les cailloux, si je perfore ici, je suis mal.
Je suis maintenant complètement dans l’orage. Je commence à paniquer. Malgré mes efforts, je dois descendre du vélo, le terrain est trop glissant et trop pentu. Le maigre filet de lumière qui s’échappe de mon phare avant me permet à peine de voir où je mets les pieds et mes roues. A chaque éclair, j’attends avec effroi le coup de tonnerre qui explose dans le ciel.
Je pense à ce moment que j’ai des chances d’y passer. Je pense à mes enfants, je leur ai bien dit que le les aimais avant de partir, mais j’aimerais leur redire maintenant. J’essaie de rationaliser. Je me souviens qu’il n’y a que 25% des éclairs qui touchent le sol, que la probabilité de mourir foudroyé est très faible, qu’il n’y a pas d’arbres aux alentours…
Je marche le plus rapidement possible, j’essaie de courir même et je remonte sur le vélo quand la pente est moins forte mais je manque de tomber à plusieurs reprises. Je suis terrorisé.
J’atteins enfin le col mais la descente ne vient pas. Il y a une portion de plat que je n’avais pas vue sur le profil de mon GPS.
Puis, la piste se transforme en route. Hourra, je remonte vite sur le vélo et commence la descente, très pentue, mais je roule. Il y a un centimètre d’eau sur la route, ça ruisselle très fort, et l’orage est toujours aussi assourdissant et effrayant. J’ai repris tout de même un peu de mon calme.
Je passe sous un premier tunnel creusé dans la roche, puis sous un deuxième. Je ne réfléchis pas, je m’arrête. Je suis envahi immédiatement d’un sentiment de soulagement. Je décide d’attendre un peu mais l’orage ne faiblit pas. Je suis entièrement trempé malgré les vêtements de pluie.
Je pose mon vélo contre la paroi du tunnel, et me fabrique un petit siège avec une pierre plate. J’ai peur que ceux qui me suivent même la nuit s’inquiètent. J’envisage de passer la nuit ici car, malgré la forte odeur d’urine de moutons, je serai toujours mieux que sous l’orage. Je m’assoupis.
Au bout d’une heure, l’orage s’est éloigné, et j’ai l’impression que la pluie n’est plus très forte. Il est 1h30, je repars.
La pluie est en fait encore extrêmement dense. J’ai fait l’erreur de garder ma polaire pensant que je n’en aurai plus pour longtemps et que mon Gore-Tex suffirait à la garder au sec. Très rapidement, je sens qu’elle prend l’eau.
J’arrive finalement à Pluzine à 2h20. Pendant toute la montée et la descente, j’ai espéré trouver au checkpoint un gite qui m’offrirait un lit pour dormir au sec. J’y croyais vraiment. J’arrive devant un bar, fermé. Quelle déception. Il y a bien le petit panneau TCR. Il y a également un rider qui est là. Je ne l’avais même pas vu. Je crois rêver.
C’est un Australien, No 142, Stuart. Il est arrivé par une autre route mais a apparemment rencontré beaucoup de difficultés aussi.
Je pense me mettre sur la terrasse du bar mais elle est détrempée. Nous partons à la recherche d’un endroit pour dormir dans Pluzine. J’imaginais cet endroit comme un tout petit village, il s’agit en fait d’une petite ville avec des résidences, des commerces. Au bout de 20 minutes, j’annonce à Stuart que j’en ai marre de tourner en rond et m’installe à la terrasse d’un café que j’avais repéré, ça va bien pour aujourd’hui. La pluie s’est arrêtée.
Mon duvet est sec. Les sacs étanches Ortlieb sont définitivement ce qui se fait de mieux en la matière.
Je n’ai pas de Wi-Fi, donc pas de possibilité de donner de news. Tant pis, on verra demain.
Je m’endors après 3h.
8 réflexions sur « Transcontinental Race No4 – Day 8 »
A suivre ….
Journée prenante à lire, ton mental est impressionnant!
encore un beau récit!
Heureux de retrouver l’homme bon que tu es à travers ces quelques lignes ! (ce coup ci encore plus que les précédentes ^^)
Et en prime l’histoire est top 😉
un sacré passage dis donc, cela a du te marquer… bravo pour le sang froid 🙂
T’avais plus internet, mais nous on avait toujours ta position via spot. Et ça c’est bien sympa aussi. meme si on se met à s’imaginer plein de trucs lorsque la position ne bouge plus. Manu m’avait prévenu que tu risquais de prendre des orages, effectivement ça n’a pas raté. J’imagine très bien ce que à du ressentir sous les éclairs. On se sent petit face aux éléments.
Mostar, c’est joli, avec ses églises serbes qui jouxtent les mosquées et le pont reconstruit. Mais je me rappelle que c’est un peu encaissé et sacrément touristique.
Merci de nous faire partager tes aventures. Vivement la suite…
Salut Vincent,
merci pour tes commentaires et ton suivi inconditionnel, maintenant et pendant la course. Je me souviens de tes texto matinaux, c’était top !
Bonjour Sylvain, merci pour ce récit, il est magnifique.